Femme libre, parfois provocatrice, Colette a imposé un style unique.

Femme libre et insoumise pour les uns, dernière représentante d’ « une certaine France » pour d’autres, Colette fascine et continue d’inspirer aujourd’hui biographes et cinéastes. Il faut pourtant se méfier de toute assimilation entre sa vie et l’œuvre, qui souvent s’en inspire. Colette nous avertit : « Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle. » (La Naissance du jour, 1928)

 

 

« J’appartiens à un pays que j’ai quitté » (1873-1893)

 Sidonie-Gabrielle Colette naît le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne). Elle est le deuxième enfant de Sidonie, née Landoy (1835-1912), la future « Sido », et de Jules Joseph Colette (1829-1905), « le Capitaine ». Elle grandit dans la « grande maison grave et revêche » de la rue de l’Hospice, aux côtés de son frère Léopold (1866-1940), le « Sylphe » et de Juliette (1860-1908), « ma sœur aux longs cheveux » et Achille (1863-1913), « l’aîné sans rivaux », tous deux nés d’un premier lit. Colette forge auprès de sa mère et au contact de la campagne environnante une sensibilité unique. Elle évoquera tout au long de son œuvre son enfance à Saint-Sauveur et l’univers familial dominé par la figure tutélaire de Sido.

En 1891, la famille Colette quitte Saint-Sauveur pour Châtillon-sur-Loing, à une trentaine de kilomètres. Sido veut se rapprocher d’Achille qui s’y est installé comme médecin. Les problèmes financiers que connaît la famille et que le mariage de Juliette a aggravés précipitent le départ. Colette a 18 ans lorsqu’elle quitte son village natal. Elle ne se consolera jamais de ce départ. « J’appartiens à un pays que j’ai quitté » (Les Vrilles de la vigne, 1908). Ainsi s’expriment les exilés.

 

Apprentissages (1893-1906)

Le 15 mai 1893, Gabrielle Colette épouse Henry Gauthier-Villars (1959-1931), plus connu sous le nom de Willy. Il est le fils d’une famille d’éditeurs scientifiques réputés et s’est fait connaître du grand public comme critique musical avisé et ardent défenseur de Wagner, mais aussi auteur de romans légers produits avec l’aide de nombreux collaborateurs réunis dans ses « ateliers ». Le couple s’installe à Paris, et fréquente les grands salons de Madame Armand Caillavet, de Mme de Saint-Marceaux ou de la princesse de Polignac. La beauté de la jeune Mme Gauthier-Villars, sa vivacité d’esprit et… son fort accent bourguignon y font merveille.

Un jour, Willy conseille à Colette d’écrire ses souvenirs d’écolière. Cet épisode est rapporté par Colette en 1936 dans Mes Apprentissages : « Vous devriez jeter sur le papier des souvenirs de l’école primaire. N’ayez pas peur des détails piquants, je pourrai peut-être en tirer quelque chose… les fonds sont bas. » Jugeant le manuscrit sans grand intérêt, Willy l’aurait alors laissé dormir dans un tiroir. Il l’en tira quelque temps plus tard : « Nom de Dieu ! grommela-t-il, je ne suis qu’un c… », se serait-il exclamé avant de porter le texte chez un éditeur. Ainsi Colette « entrait en littérature ».

Claudine à l’école paraît en 1900, signé du seul nom de Willy. Ce sera le plus gros succès littéraire de la Belle Époque. La nouveauté du ton, la spontanéité et la fraîcheur de l’héroïne expliquent en grande partie ce succès, à une époque où la littérature est encore hantée par les silhouettes fantomatiques et les « muses fardées » du Symbolisme. Ce premier volume sera suivi de Claudine à Paris (1901), Claudine en ménage (1902) et Claudine s’en va (1903). La publicité est savamment orchestrée par Willy. On peut alors acheter, en plus du col Claudine, des cigarettes Claudine, des allumettes Claudine et des cartes postales où Colette Willy, puisque c’est le nom de fantaisie qu’elle a choisi, pose en écolière… L’adaptation pour la scène avec l’actrice Polaire dans le rôle-titre amplifie encore le succès.

Colette devient un membre actif des « ateliers » de Willy. En 1904-1905, paraissent Minne et Les Égarements de Minne, toujours signés Willy. Pourtant un changement s’amorce. En 1904, le nom de Colette Willy est sur la couverture de Dialogues de bêtes, préfacé en 1905 par Francis Jammes qui annonce « Mme Colette Willy se lève aujourd’hui sur le monde des Lettres ».

 

« Je veux faire ce que je veux » (1906-1912)

 En 1905 ou 1906, Colette rencontre Missy – de son vrai nom Mathilde de Morny. Cette dernière est le quatrième et dernier enfant du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III. Alors que Willy s’affiche en ville au bras de la jeune Meg Villars, Colette trouve auprès de Missy le réconfort et l’appui nécessaire à la conquête de sa liberté. Elle songe alors à devenir actrice. En 1906, elle prend des cours de mime auprès de George Wague et entreprend une nouvelle carrière. Elle débute en février 1906 dans Le Désir, la Chimère et l’Amour où elle interprète le rôle d’un faune. Très vite, Colette multiplie les représentations à Paris, mais aussi en province. Le scandale de Rêve d’Égypte sur la scène Moulin-Rouge au cours duquel elle échange sur scène un long baiser avec Missy tandis que les armes des Morny trônent sur les affiches, lui octroie une publicité inespérée. Colette a bien retenu la leçon. Fin 1907, elle exhibe sur scène dans La Chair un sein nu qui lui vaut à nouveau de nombreux articles et caricatures. Sa nouvelle carrière ne l’empêche pas de publier durant cette période des œuvres importantes : La Retraite sentimentale (1907), Les Vrilles de la vigne (1908) et La Vagabonde (1910) où s’exprime une voix nouvelle et originale que l’œuvre à venir prolongera.

En 1910, le divorce entre Colette et Willy est officialisé. Il fait suite à une séparation de corps qui avait été prononcée en 1905. Colette débute alors une longue collaboration avec Le Matin, un des plus importants quotidiens de l’époque. C’est là qu’elle rencontre Henry de Jouvenel (1876-1935), l’un des rédacteurs en chef. Colette devient journaliste. Avec le music-hall, le journalisme occupe une place importante dans la vie et l’œuvre de Colette. Elle multipliera les participations à différents journaux. Beaucoup de ses articles seront plus tard repris en volumes, ils seront notamment la matière des recueils Les Heures longues (1917), Dans la foule (1918), Aventures quotidiennes (1924)…

 

Colette, baronne de Jouvenel (1912-1925)

 Le 25 septembre 1912, Sido meurt à Châtillon-Coligny. Le 19 décembre de la même année, elle épouse Henry de Jouvenel et devient baronne de Jouvenel des Ursins. De ce mariage naît en 1913 une fille, Colette de Jouvenel (1913-1981), « Bel-Gazou ». Cette même année, elle publie L’Envers du music-hall, L’Entrave et Prrou, Poucette et quelques autres.

Après la Première Guerre mondiale, elle publie une série d’ouvrages qui établiront définitivement sa notoriété en tant qu’écrivain. Mitsou est salué par Marcel Proust et Chéri (1920) attire l’attention et les louanges inattendues du très influent André Gide : « Moi-même je suis tout étonné de vous écrire, tout étonné du grand plaisir que j’ai pris à vous lire. J’ai dévoré Chéri d’une haleine… » Colette qui poursuit sa carrière de journaliste est devenue directrice littéraire du Matin et de ce fait une personnalité influente du monde des Lettres. Le 25 septembre 1920, elle est nommée chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Elle sera promue officier huit ans plus tard.

L’œuvre de Colette prend un nouveau tournant en 1922, avec la parution de La Maison de Claudine, véritable hymne à la maison natale de Saint-Sauveur. Un retour à l’enfance auquel les lecteurs seront sensibles et qu’elle prolongera quelques années plus tard avec La Naissance du jour et Sido, deux chefs-d’œuvre.

Sur le plan personnel, la mésentente entre Colette et Henry de Jouvenel grandit. En Bretagne, où elle possède une maison, Colette entame à l’été 1920 une relation amoureuse avec Bertrand de Jouvenel, le fils d’Henry, idylle qui lui inspirera Le Blé en herbe (1923). En 1925, Colette divorce et se sépare de Bertrand de Jouvenel.

 

La bonne dame du Palais-Royal (1925-1954)

 La solitude de Colette est de courte durée. L’année de son divorce avec Henry de Jouvenel, elle rencontre Maurice Goudeket (1889-1977) qui sera son dernier compagnon (« mon meilleur ami »). Débute alors une intense période de production littéraire. Sans doute la plus importante par le nombre des chefs-d’œuvre qu’elle publie alors : La Fin de Chéri (1926), La Naissance du jour (1928), La Seconde (1929), Sido (1930), Ces Plaisirs… (1931), La Chatte (1933).

Colette multiplie les activités. Au mois de juin 1932, elle ouvre un institut de beauté, rue de Mirosmenil, à Paris. Son slogan publicitaire : « Étes-vous pour ou contre le second métier de l’écrivain ? » Cette entreprise sera rapidement un échec. Colette déborde d’activités. Parallèlement à l’écriture des romans et aux conférences qu’elle donne dans tout l’Europe, elle collabore à de nombreux journaux. Elle tient notamment la chronique dramatique dans Le Journal. Ces articles constitueront la matière des quatre volumes de La Jumelle noire.

Colette est désormais un écrivain reconnu et célébré. En 1935, elle est promue commandeur de la Légion d’honneur et, l’année suivante, elle est reçue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, où elle succède à Anna de Noailles.

Elle épouse, le 3 avril 1935, Maurice Goudeket et, en 1938, elle s’installe au Palais-Royal (9, rue de Beaujolais). Ce sera sa dernière demeure.

À partir de 1939, Colette souffre d’arthrite ; le mal va en s’aggravant jusqu’à la paralysie. Elle évoque sans complaisance et avec une étonnante lucidité la maladie et la vieillesse dans L’Étoile Vesper (1946) et Le Fanal bleu (1949), là encore deux chefs d’oeuvre.

En 1944, elle publie Gigi, sa dernière grande œuvre de fiction. Elle y retrouve l’univers de la Belle Époque et crée un personnage d’adolescente libre et frondeuse, qui séduit les metteurs en scène. En 1949, Jacqueline Audry porte la nouvelle à l’écran. En 1951, elle est adoptée à la scène aux Etats-Unis avec dans le rôle-titre Audrey Hepburn. En 1958, le réalisateur Vincente Minelli en fait un des classiques de la comédie musicale américaine.

L’auteur des Claudine, l’actrice qui exhibait un sein nu sur les scènes de théâtre au début du siècle, est désormais loin. En 1945, Colette est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt, qu’elle présidera à partir de 1949.

Le 3 août 1954, Colette disparaît, à l’âge de 81 ans. On organise des obsèques nationales dans la cour d’honneur du Palais-Royal – elle est encore la seule femme à ce jour. Elle est inhumée au Père-Lachaise.

Quelques mois avant sa disparition, Colette avait adressé un message enregistré à de jeunes gens venus voir l’adaptation du Blé en herbe par Claude Autant-Lara : « L’heure de la fin des découvertes ne sonne jamais. Le monde m’est nouveau à mon réveil chaque matin et je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre. »

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