À un journaliste qui lui demandait en 1961 « Comment vous situez-vous dans la littérature actuelle ? », Françoise Sagan répondit « L’écrivain le plus lu ». Boutade peut-être et constat lucide aussi de celle qui en 1954 connut avec son premier roman une célébrité immédiate et mondiale. Avec plus de trente millions de livres vendus en France et une œuvre traduite dans une quinzaine de pays, l’auteur de Bonjour tristesse est un des écrivains les plus populaires de la seconde moitié du XX ème siècle. Pourtant son œuvre a été continuellement méprisée par la critique.
la biographie
« Mademoiselle tristesse »
Françoise Quoirez naît le 21 juin 1935 à Cajarc dans le Lot. Ses parents, Pierre Quoirez, fils d’industriels du Nord de la France, ingénieur en électricité et Marie Quoirez, née Laubard, fille de médecin, ont eu précédemment deux autres enfants, une fille Suzanne, née en 1922 et un fils Jacques, né en 1925. La famille vit à Paris, au 163 boulevard Malesherbes, dans le XVIIe arrondissement. La jeune Françoise reçoit une éducation bourgeoise entre des parents aimants et son frère et sa sœur dont elle restera toute sa vie très proche. Sa scolarité est médiocre. Aux mornes leçons de ses professeurs, elle préfère très tôt la lecture. Ses premières amours ont pour nom Stendhal, Proust, Faulkner, Scott Fitzgerald, les grands écrivains russes et les existentialistes. En 1950, elle est renvoyée du très catholique cours Louise-de-Bettignies, mais ne dit rien à ses parents. Pendant plusieurs mois, elle découvre Paris et passe de longues heures à la terrasse des cafés à observer les passants. Après un rappel à l’ordre et un bref séjour au Couvent des oiseaux, elle obtient non sans difficultés son baccalauréat et s’inscrit en propédeutique à la Sorbonne. Qu’importe si en 1953, elle rate son examen, elle a d’autres projets.
Cet été, Françoise renonce au farniente de la plage et s’enferme dans l’appartement du boulevard Malesherbes. En six semaines, elle écrit son premier roman, qu’elle intitule, en souvenir d’un poème de Paul Éluard, Bonjour tristesse. Au mois de janvier 1954, elle porte son manuscrit chez René Julliard. Quelques jours après l’avoir lu, l’éditeur signe un contrat avec la jeune femme, qui a choisi son nom de plume, Sagan, emprunté à Proust. Le succès est immédiat. Le premier tirage de 5000 exemplaires est épuisé en quelques jours, suivi des réimpressions à 3000, 25000 et 50000 exemplaires avant les vacances d’été. En un an, il se vendra un million d’exemplaires : un best-seller. Le prix de la Critique, attribué le 24 mai, déchaîne les journalistes. François Mauriac, qui à la une du Figaro a qualifié l’auteur de « petit monstre de dix-huit ans », défend l’œuvre : « Le talent, éclate à la première page. Ce livre a toute l’aisance, toute l’audace de la jeunesse sans en avoir la moindre vulgarité. De toute évidence, mademoiselle Sagan n’est en rien responsable du vacarme qu’elle déclenche. (…) On peut dire qu’un nouvel auteur nous est né. » Cécile a dix-huit ans. Elle passe l’été dans le Midi avec son père. Au sortir du couvent, elle découvre l’insouciance, la liberté et la sensualité. La rencontre entre son père et une femme plus âgée, Anne, dont il tombe amoureux, fait sombrer l’histoire dans la tragédie. Cécile pousse Anne au désespoir et la conduit au suicide. Le scandale est énorme, mais étrangement il n’a pas pour origine la conduite meurtrière de l’héroïne mais sa liberté sexuelle : « on ne tolérait pas qu’une jeune fille de dix-huit ans fit l’amour sans être amoureuse avec un garçon de son âge et ne fut pas punie. L’inacceptable étant qu’elle ne fut pas éperdument amoureuse et qu’elle ne tombe pas enceinte à la fin de l’été. » (Derrière l’épaule, 1998). Bien que les femmes aient obtenu dix ans plus tôt le droit de vote et malgré la publication en 1949 du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, que Françoise Sagan avait lu, le plaisir de la femme et son droit à une sexualité libre sont encore largement niés par la société. À dix-neuf ans, Françoise Sagan est riche et mondialement célèbre. Ce succès la libéra du souci de la gloire et de la réussite, comme elle le dira plus tard, mais il la condamna en même temps. En effet, la proximité entre l’âge de l’héroïne et celui de son auteur conduisirent les journalistes à prêter à la seconde les excès de la première. La « légende Sagan » était née.
« La légende Sagan »
Les succès s’enchaînent. Ses romans Un certain sourire (1956), Dans un mois, dans un an (1957), Aimez-vous Brahms… (1959), La Chamade (1965) se vendent très bien, malgré des critiques presque toujours défavorables, et font sa fortune. En 1960, Château en Suède, sa première pièce de théâtre (elle en écrira sept) connaît un énorme succès. Françoise Sagan fait la une des médias qui popularisent son look décontracté, ancêtre du sportswear, son éternelle cigarette, sa mèche blonde et son débit de paroles de plus en plus rapide. Une vraie « panoplie » pour « starlette de la littérature » comme se plairont à le rappeler les critiques. Elle dépense beaucoup et sans compter. Il y a les fêtes, l’alcool, les paradis artificiels qu’elle a découverts après son accident de voiture en 1957, le jeu, les courses, les voitures et… une extraordinaire générosité. Dès 1960, elle est interdite de chéquier. C’est aussi à cette époque que débutent ses ennuis avec le fisc ; elle oublie de régler ses impôts et n’est pas toujours très juste dans ses déclarations. En 1972, elle quitte Julliard pour Flammarion, chez qui elle publie ses romans Des bleus à l’âme (1972), Un profil perdu (1974), Le Lit défait (1977), Le Chien couchant (1980), deux recueils de nouvelles Des yeux de soie (1975) et Musiques de scène (1981) et deux pièces de théâtre Un piano dans l’herbe (1970) et Il fait beau jour et nuit (1978). Ses livres se vendent encore très bien, mais on est loin du million d’exemplaires de Bonjour tristesse et les dettes s’accumulent dangereusement. Les années 80 et 90 sont marquées par de multiples affaires qui l’affaiblissent aussi bien moralement que financièrement : condamnation pour plagiat, mise en examen pour usage de drogue et mise en cause dans l’affaire Elf. L’admiration et l’amitié que lui porte François Mitterrand, élu Président de la République en 1981, lui sont un réconfort précieux. Mais Françoise Sagan court après l’argent. Elle écrit beaucoup, accepte toutes les sollicitations au risque de ne pas respecter certains contrats. Ses derniers romans Un orage immobile (1983), Un sang d’aquarelle (1987), La Laisse (1989), Les Faux-fuyants (1991), Un chagrin de passage (1994) et Le Miroir égaré (1996) et ses textes de souvenirs Avec mon meilleur souvenir (1984), … et toute ma sympathie (1993) et Derrière l’épaule (1998) n’ont pas le succès escomptés. Ses droits d’auteur sont entièrement engloutis par le remboursement de ses dettes et elle doit sa survie à la générosité de quelques amis fidèles. Elle qui avait revendiqué l’insouciance et la liberté achève sa vie dans une prison dorée. Après la disparition, en 1989, de son frère et de sa mère, puis, en 1991, de Peggy Roche, son dernier amour, la solitude que Sagan avait fui toute sa vie est désormais son lot. Les excès passés et la consommation de drogue l’ont physiquement affaiblie. Ses ennuis de santé se multiplient, ses os se brisent comme du verre. Réfugiée dans le manoir d’Equemauville en Normandie, Françoise Sagan s’éteint le 24 septembre 2004. Elle est inhumée dans sa ville natale en présence des autorités, de ses amis fidèles et de très nombreux admirateurs. Son fils, Denis Westhoff, né de son second mariage, a, malgré les dettes, accepté la succession et décidé de se battre pour la postérité de l’œuvre.
« Je suis un accident qui dure »
En cinquante ans de carrière, Françoise Sagan a publié une trentaine d’ouvrages, des romans essentiellement, des pièces de théâtre et des textes de souvenirs, sans compter des scénarii et des dialogues pour le cinéma. Dès ses premières oeuvres, le lecteur découvre ce qui deviendra rapidement sa marque : des textes, le plus souvent brefs, qui mettent en scène un trio ou un quatuor amoureux appartenant à la bourgeoisie dorée et oisive. La critique a souvent stigmatisé ce « milieu saganesque » et l’artificialité des personnages et des sentiments, sans toutefois noter la profonde humanité de l’œuvre et la crainte de la solitude qui comme une fêlure court à travers toute l’œuvre. Celle de Françoise Sagan s’est construite à l’écart des chapelles et des avant-gardes littéraires. « Je ne crois pas aux techniques, ni aux histoires de renouvellement du roman, affirmait-elle. Il y a tout l’être humain à fouiller. C’est une histoire de bûcheron. L’arbre est assez énorme pour qu’on ne passe pas son temps à vérifier la hache. » Femme de convictions, signataire du Manifeste des 121, farouche opposante à la peine de mort et ennemie de toute forme de racisme, elle n’avait pourtant rien d’un porte-drapeau. Les scandales qui ont émaillé la vie de la femme ont malheureusement fait oublier les qualités de l’écrivain. Son art très personnel de peindre en quelques mots simples et choisis une situation, ou un personnage. Cette petite musique qui dans toute la littérature n’appartient qu’à elle et qui avait ébloui François Mauriac en 1954 : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. » (Bonjour tristesse) Colonisée par la littérature, Françoise Sagan a toute sa vie brûlé d’une unique passion. Prodigue jusqu’à l’excès, conduisant sa vie à la façon d’une de ces voitures de course qu’elle aimait tant, elle a parfois cédé à l’urgence et la facilité qui, rappelait-elle, « demande aussi du travail ». De cette course effrénée à la vie, il nous reste des prodiges de beauté, dont la force demeure aujourd’hui intacte.
la bibliographie
- Bonjour tristesse, éd. Julliard, 1954
- Un certain sourire, Julliard, 1956
- Dans un mois, dans un an, Julliard, 1957
- Aimez-vous Brahms..., Julliard, 1959
- Les Merveilleux Nuages, Julliard, 1961
- La Chamade, Julliard, 1965
- Le Garde du cœur, Julliard, 1968
- Un peu de soleil dans l'eau froide, Flammarion, 1969 - rééd. Stock, 2010
- Des bleus à l'âme, Flammarion, 1972 - rééd. Stock, 2009
- Un profil perdu, Flammarion, 1974 - rééd. Stock, 2010
- Le Lit défait, Flammarion, 1977 - rééd. Stock, 2010
- Le Chien couchant, Flammarion, 1980 - rééd. Stock, 2011
- La Femme fardée , Ramsay, 1981 - rééd. Stock, 2011
- Un orage immobile, Julliard, 1983 - rééd. Stock, 2010
- De guerre lasse, Gallimard, 1985
- Un sang d'aquarelle, Gallimard, 1987
- La Laisse, Julliard, 1989
- Les Faux-fuyants, Julliard, 1991
- Un chagrin de passage, Plon, 1993
- Le Miroir égaré, Plon, 1996
Jean-Claude LAMY, Sagan, une légende, Paris, Mercure de France, 2004.
Marie-Dominique LELIÈVRE, Sagan à toute allure, Paris, Denoël, 2008.
Geneviève MOLL, Madame Sagan (Ramsay, 2005), Paris, J’ai Lu, 2007.
Sagan was born in Cajarc (Lot) and spent her early childhood in Lot, surrounded by animals, a passion that stayed with her throughout her life. Nicknamed 'Kiki', she was the youngest child of bourgeois parents – her father a company director, and her mother the daughter of landowners. Her family spent the war in the Dauphiné, then in the Vercors.[2] Her paternal great-grandmother was Russian from Saint Petersburg.[3][4] Although she later attended university, she was an indifferent student, and did not graduate.
The pseudonym "Sagan" was taken from a character ("Princesse de Sagan") in Marcel Proust's À la recherche du temps perdu (In Search of Lost Time). Sagan's first novel, Bonjour Tristesse (Hello Sadness), was published in 1954, when she was 18 years old. It was an immediate international success. The novel concerns the life of a pleasure-driven 17-year-old named Cécile and her relationship with her boyfriend and her adulterous, playboy father.
Sagan's characters, which became something of an icon for disillusioned teenagers, are in some ways similar to those of J.D. Salinger. During a literary career lasting until 1998, Sagan produced dozens of works, many of which have been filmed. She maintained the austere style of the French psychological novel even while the nouveau roman was in vogue. The conversations between her characters are often considered to contain existential undertones. In addition to novels, plays, and an autobiography, she wrote song lyrics and screenplays.
In the 1960s, Sagan became more devoted to writing plays, which, though lauded for excellent dialogue, were only moderately successful. Afterward, she concentrated on her career as a novelist.